Anselme crie, David l’écrit
L’année 2013 a été marquée par deux grands événements au Togo : l’incendie des marchés de Lomé et de Kara, et la grève des agents de l’éducation. C’est dans cette période que le jeune collégien de 12 ans, Anselme Sinandaré, a été abattu par balle par un corps habillé togolais à Dapaong, au nord du Togo, au cours d’une manifestation d’élèves réclamant leurs enseignants en grève.
Ce décès précoce est survenu le 15 avril 2013, alors que l’auteur de cet ouvrage, David Kpelly était à Dakar avec un groupe de blogueurs de la plateforme Mondoblog de Radio France Internationale.
Le 18 avril, c’est-à-dire trois jours après le décès du jeune collégien, Anselme Sinandaré, le premier ministre togolais Arthème Séléagodji Ahoomey-Zunu, répondant aux questions de Christophe Boisbouvier dans « Afrique matin », a dans un excès de zèle promis que toute la lumière sera faite sur cet assassinat crapuleux. C’est cette promesse qui a fait naître ce livre, un condensé de 12 lettres ouvertes publié chaque mois pour rappeler au premier ministre togolais, Arthème Séléagodji Ahoomey-Zunu, sa promesse.
Dans une écriture alternant entre naïveté et humour, indignation et émotion, ironie et moquerie, impertinence et provocation, le recueil « Pour que dorme Anselme » publié chaque mois sur Internet entre la période du 18 avril 2013 au 18 mars 2014, par l’auteur, David Kpelly, a suscité un grand engouement autour de cet événement qui ne devait passer ni insignifiant, ni inaperçu.
Faut-il le rappeler c’est même à cette fin qu’un compatriote se présentant comme un étudiant en Guinée a dans un cri de révolte interpellé David Kpelly, et tous les internautes togolais ayant une voix, journalistes, blogueurs, intellectuels, qui semblaient s’être détournés de l’agitation de la vie sociopolitique du Togo.
Avant le 18 avril 2013, date de promesse d’une enquête par le premier ministre, David Kpelly ne se voyait ni comme un leader d’opinion, ni comme un homme politique, ni comme un opposant au régime togolais. Il ne militait dans aucun parti politique du Togo, ni même une association politique. Chassé de son pays par le chômage et vivant dans des conditions difficiles au Mali, ce simple citoyen révolté qui écrit au besoin pour se soulager, crier ses frustrations et ses attentes a pris ses responsabilités. Il s’est fixé une barre de douze lettres comme les douze apôtres pour interpeller qui de droit afin de faire la lumière sur cet assassinat.
Devant la mort non élucidée de tous les martyrs togolais, Tavio Amorin assassiné depuis vingt ans, Atsoutsè Agbobli tué depuis cinq ans, ces hommes et femmes réduits au silence ces dernières décennies, l’auteur est conscient que la promesse d’une enquête sur le décès tragique du jeune Anselme n’est qu’un saupoudrage. Mais au gré des circonstances, devant la mort particulièrement, un revirement est possible. Ne dit-on pas qu’un mauvais frère en vie vaut mieux qu’un bon frère mort ? Ceci parce que le mauvais frère peut toujours se repentir et changer tant qu’il est en vie ?
Aussi, écrit-il, que pour sa mère, cet enfant est tout. « Il compte pour sa mère plus que vous ne comptez pour la vôtre. Ces femmes, ces ménagères livrées à leur dure réalité quotidienne ne placent leurs espoirs que dans leurs enfants. Elles voient en eux la réalisation de tous les rêves qu’elles n’ont pas pu réaliser elles-mêmes. Ce n’est donc pas un enfant que vous avez tué, c’est le rêve d’une femme, l’avenir d’une famille, que vous avez fracassé. Ce petit Anselme était tout pour sa mère. Elle y voyait tout son avenir, comment devenu grand, cet enfant fera vivre le paradis à la vieille femme qu’elle sera devenue. »
Dans un style particulier et comparable à celui de Tchak Sami, D Kpelly peint simplement, magnifiquement et sobrement les douze lettres de proverbes de chez nous qui attestent d’une sagesse profonde et de son attachement intense aux jus et coutumes de sa terre natale.
La coïncidence avec certains événements comme pour la plupart, nourries de chaudes actualités, notamment les élections législatives, le drame de Lampedusa, la suppression de la célébration de la date du 13 janvier, l’hospitalisation du premier ministre, n’était que de bonne guerre. C’est pourquoi il a martelé « Monsieur le premier ministre, la réconciliation, vous le savez très bien, elle n’a rien à voir avec le 13 janvier et son abolition. Elle commencera, la vraie réconciliation au Togo, par des enquêtes, de vraies, sur les martyrs, tous les martyrs du Togo. Prenez vos responsabilités vis-à-vis de vos victimes. Prenez vos responsabilités devant l’assassinat de ce pauvre petit innocent, Anselme Sinandaré. Ce n’est pas vous, Monsieur le premier ministre, qui l’avez tué, Anselme. Ah, ça non ! Vous ne savez peut-être même pas qui l’a tué. Mais vous avez promis de nous éclairer sur sa mort, parce que vous savez que vous en avez les moyens. Et nous vous attendons. »
David Kpelly considère l’affaire Anselme Sinandaré comme une TRAGEDIE. Une tragédie parce qu’il s’agit d’un enfant exécuté en plein jour dont l’assassin court toujours. Une tragédie parce qu’au-delà de la mère de cet enfant, c’est toute une famille qui a été endeuillée. C’est tout un village qui a été affligé. C’est toute une communauté qui a eu le cœur meurtri. C’est toute une nation qui a fait les frais de l’injustice.
Pour que dorme Anselme, Lettres ouvertes à Arthème Ahoomey-Zunu, premier ministre togolais, sur la mort d’Anselme Sinandaré, David Kpelly, Editions Awoudy, 2015
Extrait : « …Monsieur le premier ministre, tragédie, absolument ! Tragédie d’un enfant exécuté en plein jour, à ciel ouvert, devant des centaines d’yeux, mais dont personne n’a le droit de connaître l’assassin. Tragédie d’une mère à qui on ramène un enfant mort, le sien, une mère qui voit son sang, ses eaux, ses larmes, ses soupirs… anéantis en un brin de temps, une mère qui hurle, saute sur un corps raide qu’on lui présente comme son enfant, qui demande en larmes qui a assassiné son trésor, et à qui on donne pour toute réponse des soupirs mats : « On ne sait pas. »… »
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