Le 13 Janvier, la TvT et le Général

Article : Le 13 Janvier, la TvT et le Général
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13 janvier 2016

Le 13 Janvier, la TvT et le Général

crédit : republicoftogo.com
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Il était une fois une date, une journée de liesse populaire et de défilé militaire. Quand elle tombait sur un Jeudi, ça faisait un long weekend de 4 jours puisque le lendemain était férié. Pareil quand ça tombait également sur un Lundi. Cette date, c’était celle d’aujourd’hui, le 13 Janvier. Elle marque un temps, une époque, un souvenir, le règne d’un homme dans la tête de nombreux togolais. Cet homme, militaire de formation, président d’une nation par un concours de circonstance, c’était le Général Gnassingbé Eyadéma.


Une date, deux hommes.

La date du 13 janvier n’était pas une date ordinaire. Elle était celle choisie pour non seulement la célébration de l’accession au pouvoir du tout-puissant président mais aussi celle de l’assassinat du feu président Sylvanus Olympio, le père de l’indépendance du togo. Contradiction !

Ma grande mère m’a raconté que c’est : « au petit matin du 13 Janvier 1963, qu’un corps sans vie gisait aux abords de l’ambassade des États-Unis au Togo. Ce corps sans vie, celui de Sylvanus Olympio, était le symbole de la démocratie Togolaise réduit au silence par des forces obscures. »

C’était une date qui faisait donc polémique parce qu’elle divisait fondamentalement le togo en deux. La partie du Nord en majorité constituée de Kabyè, ethnie du président Gnassingbé Eyadéma, qui supportaient aveuglement toute action de sa part; et la partie du sud en majorité constituée d’Ewé, ethnie du défunt président assassiné Sylvanus Olympio qui n’avaient toujours pas digéré la perte subite d’un homme charismatique qui a conduit le togo vers son indépendance.

L’idée d’une célébration en grande pompe faisait le bonheur de certains pendant que d’autres la considérait comme pantomime. Elle était l’occasion pour les militaires de sortir de leur casernes, de faire une démonstration de force par un défilé riche en couleur, et de renouveler leur soutien au général. Un défilé suivi de décorations et de grandes décisions, tant en grâce présidentielle pour les détenus pour crimes ou délits, que pour nommer, poser une première pierre ou encore inaugurer. C’était également l’occasion pour les directeurs de toutes les écoles publiques, du lycée au primaire, de faire du zèle en obligeant les petits écoliers que nous étions à nous entraîner des semaines avant cette date, à nous présenter très tôt à ce défilé, et à supporter la chaleur, le soleil et le retard des autorités le jour du défilé en toute sueur. C’était également une double occasion pour une frange de la population de profiter du dîner somptueux qui est offert à l’entourage du président dans la soirée et de prendre quelques liasses de billet qui seront distribuées à la résidence privée, j’ai nommé Lomé II. Mais au même moment, et de l’autre côté de la frontière à l’Est pour se recueillir, Gilchrist Olympio, n’avait que le chemin des contrebandiers pour rallier la tombe de son père Sylvanus, premier président du Togo indépendant, assassiné le 13 janvier 1963.

Plus le temps passait, plus cette date avait de l’importance pour le général, plus elle divisait le pays en deux et plus elle raffermissait le sentiment d’une préférence pour les peuples du Nord au détriment de ceux du Sud du pays.

Les nombreuses tentatives de coup d’état imputées à l’opposition en majorité constitué d’hommes du Sud, l’attribution du terme « père de la nation » au général en négation de celui de « père de l’indépendance » à Sylvanus Olympio, l’absence de justice pour déterminer les conditions et les véritables coupables de l’assassinat du président Sylvanus Olympio ont alimenté un sentiment de haine des peuples du Sud contre ceux du Nord. C’est essentiellement l’administration publique qui en a subit le coup avec le favoritisme, la partialité et la régionalisation. Ce que l’ethnie du feu président Sylvanus Olympio reproche au feu président Gnassingbé Eyadéma, c’est d’avoir eu [à tort] le courage d’assumer la paternité de cet assassinat calamiteux. Nombreux sont ces hommes et femmes qui considèrent ce geste comme désastreux. La raison ? Tout simplement parce qu’il y avait des rumeurs qui attribuaient ce coup d’état à la France. Il fut un moment où le général nia avoir tué de ses propres mains Sylvanus Olympio mais la graine de la rancœur ayant déjà été semée, personne n’y fit attention. Puisque ce qui est dit ne peut très souvent pas être facilement dédit, le général a été longtemps détesté pour ce geste maladroit.


Une date, deux médias.

La Télévison Togolaise, la chaîne nationale propagandiste des œuvres du chef de l’état, était l’autre source de division en cette date. L’inexistance de média privé à l’époque obligeait tous les détenteurs de télévision blanc-noir en version cathodique à suivre l’unique chaîne de télévision à l’intérieur du pays surtout et à Lomé. A l’exception de quelques privilégiés qui avaient l’antenne CFI, le reste de la population n’avaient d’autre choix que d’allumer ou d’éteindre leur postes téléviseurs. Tous les programmes mouraient en même temps que le feuilleton qui permettait de distraire les populations à 19h30′. Pendant deux semaines, la TvT ne connaissaient plus ni publicité, ni intermède. C’était le défilé militaire, région par région, préfecture par préfecture, canton par canton, toute la journée et en bonus une édition spéciale dans les deux langues nationales. La TvT et sa jumelle, Radio Lomé, devenaient subitement l’objet de tourmente et de torture des citoyens. Tous les programmes étaient suspendus durant deux semaines pour faire la large diffusion de tout ce qu’il y a eu le 13 janvier. Rien ne devait passer inaperçu dans les 56.600km2 de bout de terre. On pouvait entendre en bande sonore ou audio-visuelle, les discours et les blagues du général dont seul ce dernier avait les secrets pour amuser la galerie.

Bien des années plus tard, le général décéda, son fils lui succéda. La succession de ce dernier n’a pas obtenu l’assentiment d’une large moitié de la population en raison des circonstances liées à sa prise de pouvoir. Tout s’est fait dans un bain de sang occasionnant de nombreux morts.

Puis un soir du 10 janvier 2014, par simple communiqué le gouvernement a décidé de faire de la date du 13 janvier, une journée ordinaire et donc ouvrable. Cette décision était, nous a-t-on dit, prise pour placer les futures actions sous le signe de réconciliation nationale et d’apaisement politique.

Pendant que les personnes victimes ou non des sempiternelles querelles intestines entres les familles Olympio et Gnassingbé s’en réjouissaient, certaines personnalités dans le camp du fils du général s’estimaient médusées par une telle décision. Ces derniers estimaient que cette date n’avaient pas à être supprimé pour satisfaire l’ego de certaines personnes. Pour d’autres encore, décréter par simple communiqué du gouvernement, rédigé à la hâte dans les couloirs du palais de la Marina, de faire du 13 janvier une journée ouvrable, est un acte anticonstitutionnel qui met à nu toute la maladresse du gouvernement. Ainsi donc ils ne sauraient tolérer que dans une République, l’on navigue autant à vue alors que toute la charpente du droit, de la Loi et des mécanismes de fonctionnement de l’Etat est déjà en place et ce depuis des années.

C’est tout un débat qui a été entretenu autour de cette date. Mais il faut le reconnaître, cette décision a été la plus courageuse que le fils du général ait prise malgré les ronronnements dans son propre camp.

Aujourd’hui encore certains souvenirs restent frais dans nos mémoires et la question se pose toujours. Fallait-il supprimer cette date ? En tant que fervent défenseur des droits humains, je dis OUI. Mais il ne faut pas en rester là. Supprimer une telle date ne suffit aucunement pour réconcilier ce peuple. Il reste encore beaucoup d’actions et de décisions qui témoigneront de la bonne foi du gouvernement. Pour l’heure, le gouvernement et à leur tête le chef de l’état ne restent que des manipulateurs. L’absence de prise en compte des recommandations de la CVJR, le non-respect des accords de Ouaga, l’absence de réformes constitutionnelles et institutionnelles en sont la preuve. Il est temps pour le régime en place de penser à faire rapatrier les restes du feu président Sylvanus Olympio n’attendant que de fouler le sol du territoire qu’il a porté à l’indépendance. Il y sera mis fin à un demi-siècle de forfaiture, d’injustice et d’imposture. Enfin, ce sera plutôt un pas.

Bien à vous !

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Commentaires

Fotso Fonkam
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Je vois pourquoi cette date ne pouvait pas faire l'unanimité au Togo. Et c'est vrai que, selon moi, c'était une façon de célébrer l'imposture, puisque Eyadema a pris le pouvoir par les armes (le premier coup État en Afrique, ai-je appris). Je pense donc comme toi que c'était une décision salutaire d'annuler les célébrations du 13 janvier. Mais comme toi je pense que ce n'est pas suffisant pour taire les rancœurs qui existent entre Togolais du nord et Togolais du sud.

Et je constate que le Cameroun et le Togo ont un autre point commun: les dépouilles des anciens présidents reposent à l'étranger : au Sénégal pour Ahmadou Ahidjo et au Ghana (je crois) pour Sylvanus Olympio...

Guillaume DJONDO
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Exactement Will, il reste encore beaucoup à faire. Et pour la dépouille, c'est plutôt au Bénin.

Fotso Fonkam
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Ah oui au Bénin... Autant pour moi :)

Guy Muyembe
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Oui, la question des célébrations se posent partout en Afrique. Chez moi il y a la date de la prise du pouvoir par la famille Kabila qui est célébrée et déclarée fériée.
Il est temps que l'Afrique change.