Aného, la famille et moi

Article : Aného, la famille et moi
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1 janvier 2016

Aného, la famille et moi

Crédit : happyfamily.doctissimo.fr
Crédit : happyfamily.doctissimo.fr

Bien le bonjour lectrices et lecteurs,
Je suis heureux de vous retrouver encore sur ce blog pour de nouvelles aventures cette année. Puisse cette année 2016 faire sonner la fin du vieux et faire carillonner du nouveau dans nos vies. Meilleurs vœux à toutes et à tous !

Au Togo, il y a de ces peuples qui ne savent pas taire leur franchise simplement pour caresser l’égo des autres.

Les gens d’un de ces peuples ont eux-mêmes un de ces égos surdimensionnés à la hauteur du Wall Trade center. Ils ont aussi une fierté cadenassée quelque part dans un coffre-fort inviolable sur les îles caïman. Ce peuple n’a ni l’amadouement ni l’apprivoisement dans l’âme. Ils ne fonctionnent que par la spontanéité, la bonne foi et la complexité. Pour avoir été les premiers à rencontrer et affronter les colons, leur amour pour la cordialité et la civilité leur vaut réprobation et condamnation. Ce peuple, c’est celui d’Aného.

Mes résultats en classe de cinquième avaient tellement séduits mon directeur d’école qu’il s’est tout de suite proposé dans un courrier envoyé à mon père de prendre l’entière responsabilité de m’inscrire en classe de troisième. Soit me faire sauter la classe de quatrième, pour être plus explicite. Un courrier auquel mon père s’est empressé de lui répondre le lendemain en lui notifiant son NON définitif. Et en justifiant sa décision de ne pas vouloir éduquer ses enfants dans la facilité mais sur la base du mérite. J’avais 12 ans et tout ceci se passait à Sokodé. Pour ce petit collégien que j’étais, c’était plus le regret de voir mes camarades me devancer d’une classe que moins l’envie d’en vouloir à mon père. Toute mon enfance a été bâtie sur des principes et des règles d’honnêteté, de franchise, d’intégrité, et de rigueur, que même jeunot, toutes mes décisions passent par ce baromètre.

Cette même année, je me suis retrouvé un vendredi matin plaqué contre le table-banc d’un élève inconnu en train de recevoir des fessées. Pourquoi ? Parce que deux jours plus tôt, c’est-à-dire un mercredi vers 10h, les ainés de la classe de terminale recevait leur feuilles de devoir d’anglais pendant que nous, les élèves de la classe de cinquième, nous nous installions dans la salle d’informatique à côté. Il a fallu que ma bouche qui chauffe toujours sorte « donc ces grands frères qui font les gros dos pendant la récréation sont de vrais paresseux ? Avoir 3/20 en devoir d’anglais. Que des tarés ! »

Après 2h de cours d’informatique, je suis rentré tranquillement à la maison. Je ne me doutais pas que cette petite phrase, devenue une bombe, s’est amplifiée et s’est émiettée dans le cœur de ces grands frères déjà énervés par leur notes minables hein ? Une rébellion pour laver leur honneur s’est constituée, le lendemain. La doléance a été portée devant notre directeur d’établissement. Une investigation a été lancée pour déterminer qui de ces jeunes élèves a sorti la phrase suicidaire. Par solidarité tous mes camarades ont refusé de me dénoncer. Mais ce Kotocoli, traître, de Moumouni qui m’en voulait depuis la rentré d’être de plus en plus ami avec Illetou, la fille la plus jolie et la plus intelligente, notre délégué de classe, a été voir le surveillant. Le surveillant est allé ensuite voir le directeur pour me dénoncer. Misère !

Le soir du jeudi, j’ai été surpris de la présence de notre directeur chez nous. J’étais en train de cueillir des goyaves dans l’arbre sur la cour quand mon père m’appela.

Séna. Viens ici. Il paraît que tu as embêté tes grands frères du lycée. Ton directeur m’a proposé :
– Soit de te renvoyer à la maison pour deux jours le temps que toute cette rancœur ne se dissipe.
– Soit de te fesser devant toute la classe de terminale qui est concernée.

Il retint son souffle un moment avant d’ajouter : moi, je lui ai proposé de te fesser au mât.

Mon sang fît un tour. Mon Dieu ! C’est quelle honte mon père veut m’acheter gratuitement comme ça ? C’est ainsi que vendredi matin je me suis retrouvé sur un table-banc à prendre 10 fessées.

Mais ce qu’ils ne savaient pas, c’est que j’étais un jeune carabiné. Je n’avais pas porté une culotte comme d’habitude. Je me suis réveillé tôt le matin et en complicité avec ma mère, j’en ai porté 3. Ah oui ! A situation exceptionnelle, mesure exceptionnelle. Mais même avec 3 culottes, j’ai ressenti les coups bien appliqués du surveillant général, M. Abbey. Elles sont inoubliables, cette rougeur sur mes petites fesses, cette sueur glacée qui a coulé entre mes omoplates et ces larmes douloureuses que j’ai refusées de laisser couler devant tout l’établissement réuni au mât.

Cette même année, alors que j’étais en vacance à Atakpamé, j’ai gagné le prix du meilleur jeune animateur dans « devio bé radio » organisé par Plan-Togo à radio Excelsior. Je n’ai pas oublié la double gifle que j’ai eue à mon retour le soir parce que mon oncle Antoine trouvait inconcevable que je sorte de la maison sans prévenir. Il n’oubliera pas non plus, pour le restant de sa vie, les remontrances sèches et sans modérations que ma mère lui a faites par la suite.

Ce qui a été exceptionnel dans toute cette histoire c’est que je me suis découvert un talent pour l’animation radio. Et le nombre de personne qui ont cherché à me voir pour soit dit en passant « la meilleure prestation en français qu’un jeune garçon ait pu faire depuis que le concours existe ». Je n’ai pas tiré ma satisfaction de ces compliments que j’ai reçus lorsqu’on me faisait visiter tour à tour les nombreuses personnes qui ont cherché à me voir. Mais plutôt de ces nombreux dons en kaki, boîte de stylo, ensemble géométrique, gomme, crayon de couleur, sac… Etc… Bref tout l’arsenal scolaire dont pouvait bénéficier un élève du collège pour exonérer ses parents de dépense pour 3 années consécutives.

Bien des années plus tard, j’ai rencontré le grand frère qui était à la tête de la rébellion, Christian Alou, au décanat de la Faculté de Droit. Il venait voir le procès-verbal des notes de troisième année et moi j’y étais pour voir mes notes de la première année de droit. Oui, c’est Dieu qui est Grand. M’ayant reconnu, il m’a rappelé ce fameux jour de vendredi. Et nous en avions ri. Oui, c’est Dieu qui apaise les cœurs. Et la douleur des fessées aussi.

Un an plus tard, étudiant à cheval entre la troisième et la quatrième année, son ancienneté lui a permis d’être élu délégué général de la Faculté de Droit et délégué général de l’Université de Lomé pendant que j’étais son directeur de campagne adjoint auprès des étudiants de deuxième année. Oui, c’est Dieu qui couronne.

Contrairement à certains de mes oncles, des adultes ronflants et condescendants qu’Aného produit. Le prototype d’adulte persuadé d’avoir toujours raison devant un plus jeune que lui, et qui ne s’embarrasse pas de politesse ni de considération pour vous ridiculiser devant les autres membres de votre famille. Mon père a toujours le gentil mot pour chacun, sage et souriant. Il est le dernier à vous faire des remontrances en privée et à vous faire retrouver la raison par des conseils précieux. C’est le genre de père que tous les enfants devraient avoir. J’en suis fortement convaincu ! Ses reproches, je le lui ai malicieusement fait remarquer, commencent toujours par du miel. Il a l’art de gérer nos humeurs et nos défauts sans les retourner contre nous. Il nous appelle, ma sœur Ghislaine, mon frère Blaise et moi, chaque fois qu’il en a l’occasion, pour nous parler de la vie, des règles de la nature, de Dieu, des hommes, des bonnes manières de citoyen, de bon père de famille et d’Homme. Il m’a donné l’exemple, celui du bon frère, du bon père de famille, celui du bon leader, du bon citoyen.

Un père comme le mien est d’une générosité sans borne. Chaque fois qu’il en a l’occasion à la fin d’année, il nous fait transporter de la boisson et des ignames, sur ma vieille moto Sanili qui souffre déjà de maux d’amortisseurs, pour ses frères et ses sœurs. Et pourtant ! Ce n’est pas un milliardaire. A chaque fois que j’ai essayé de comprendre il me dit avec un sourire inquisiteur « un seul arbre ne fait pas la forêt ». Il a de ces convictions que je n’ai fini par comprendre qu’avec le temps. C’est que les relations humaines, sont des liens sacrés plus importants que l’argent et le matériel ici-bas.

Mais, comprendre ses convictions ne m’a pas empêché de former une rébellion avec mes frères cette année. Et pour cause ! Mon père a été gravement malade cette année. Une maladie qui a été l’épreuve la plus dure que j’ai subie de toute mon existence. Le genre d’épreuve qui se paye chère de votre patience. Pendant les trois mois passés entre l’hôpital et la maison, je n’ai vu à son chevet que trois de ses frères et une de ses sœurs. Le reste de mes oncles se contentaient de n’avoir de ses nouvelles qu’au téléphone. Dieu aidant, sa maladie s’est peu à peu estompée. Il s’en est complètement remis et a repris le boulot où il a d’ailleurs obtenu une promotion. La cause principale de sa maladie se trouvait dans l’obtention de cette promotion. Un collègue malveillant qui a voulu lui ôter la vie hein ? Mais c’est Dieu qui a le dernier mot en toute circonstance.

Je disais donc, que nous avions formé une rébellion pour protester contre la livraison de boisson et d’igname cette année. Bien entendu, certains oncles en étaient exonérés. La raison principale c’est que je suis contre cette idée de dire qu’on s’aime en ne se limitant qu’aux rencontres au village ou aux coups de fil au téléphone. Quand vous aimez véritablement quelqu’un la moindre des choses à faire, c’est d’aller connaître chez lui. Lui rendre visite, très souvent, si vous pouvez. Ces oncles et tantes saprophytes ont eu tort de penser que la générosité n’avait pas de frontière.

Dans une famille d’aného, il y a toujours un oncle d’une méchanceté gratuite inexplicable. Dans une famille d’aného, il y a toujours des oncles et des tantes qui aiment profiter des autres. Dans une famille d’aného, il y a toujours un oncle pédant qui parle mal à ses frères. Dans une famille d’aného, il y a toujours une tante dont on interdit la fréquentation. Dans une famille d’aného, il y a toujours un oncle qui aime détourner l’argent de ses propres frères. Dans une famille d’aného, il y a toujours des cousins qui ne cherchent pas à avoir de vos nouvelles. Dans une famille d’aného, il y a toujours une cousine dont on accuse de ne pas être de bonne moralité et d’avoir raté sa vie. Dans une famille d’aného, il y a toujours des oncles qui se croient plus importants que les autres parce que se considérant riches. Dans une famille d’aného, il y a toujours un oncle ou un cousin qui vient toujours demander de l’aide à vos parents. Dans une famille d’aného, il y a toujours un oncle qui est saoul tout le temps. Dans une famille d’aného, il y a toujours une tante qui parle trop. Dans une famille d’aného, il y a toujours des gens qui essaient d’impressionner vos parents en donnant des conseils inutiles quand vous vous retrouvez au village. Dans une famille d’aného, il y a toujours quelqu’un qu’on fait semblant d’aimer. Dans une famille d’aného, il y a toujours quelqu’un qu’on aime beaucoup. Dans une famille d’aného, il y a toujours un oncle qui fronce toujours la mine, une tante qu’on surnomme dame de fer. Dans une famille d’aného, il y a toujours ces oncles et ces tantes qui ne vous rendent jamais visitent mais qui vous sautent dessus quand vous vous retrouvez au village. Dans une famille d’aného, il y a toujours un oncle à l’étranger qui ne vous appelle qu’une fois par an, le 1er janvier. Dans une famille d’aného, il y a toujours un cousin à l’étranger qui te promet un appareil photo Canon EOS 5D depuis des années mais qui à chaque fois qu’il revient en vacance au pays te dit qu’il a oublié. Dans une famille d’aného, les oncles sont souvent rares à trouver quand tu cherches un stage ou un boulot. Mais ils sont les premiers à venir te féliciter quand tu en trouves. Dans une famille d’aného, c’est chacun pour soi et Dieu pour tous. Dans une famille d’aného, il y a deux sortes de parents : ceux qui éduquent leur enfants avec des bâtons et ceux qui éduquent leur enfants avec des dictons.

C’est toute cette complexité, toute cette ambiguïté et toute cette diversité qui fait l’essence même d’une famille.

Malgré notre refus d’aller faire la livraison, mon père s’est lui-même déplacé en voiture pour livrer les colis. A son retour, il nous a appelé pour nous dire une énième fois qu’ »un seul arbre ne faisait pas la forêt ». Parce que nous avons toujours besoin les uns des autres. Une autre leçon que j’en ai tirée : c’est que une chose est sûre, rien ni personne ne peut nous forcer à ramer à contre-courant de nos convictions. Même pas nos enfants. J’ai compris !

Bien à vous !

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Commentaires

Guy Muyembe
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Merci d'avoir pris le courage de partager avec nous les secrets de ta famille. Dieu sait combien on n'est pas toujours disposé à partager ce qui est par essence privé.

Guillaume DJONDO
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Ça faisait un peu trop de chose à garder dans ma petite tête. Il fallait que j'en parle pour me libérer d'un poids. Ça me sera peut être préjudiciable mais bon j'ai déjà pris le risque.

Merci d'être passé et heureuse année, cher ami Guy !

Ecclésiaste Deudjui
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Guillaume ce n'est pas un risque que tu as pris. ça s'appelle simplement "se dévoiler un peu". bonne continuation petit frère

Guillaume DJONDO
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Ha ha ha... C'est retenu. Merci, cher grand-frère.