Le Togo entre campagne, vacance et émergence
Depuis le 10 avril 2015, les murs des maisons, les réseaux sociaux, les messages radio et télévisés sont devenus l’apanage d’une grande pièce de théâtre avec pour acteurs principaux nos chers amis de la classe politique togolaise. Je vais me limiter aux hommes du parti au pouvoir en me basant sur une généralité, car ce sont leurs attitudes que j’ai pu analyser et qui sont mises en avant dans ce billet.
En 2005, tu as dit : je ne compte pas m’éterniser au pouvoir. Tu le redis en 2015 en comptant rester au pouvoir. On t’a gbassé non? #TGPR15
— Tété Enyon (@teteenyon) 13 avril 2015
Au diable le boulot, tous à la campagne
En ce moment, il y a un ralentissement ex abrupto1 dans le fonctionnement des administrations togolaises consécutif à l’absence des ministres, directeurs généraux, directeurs adjoints, la plupart de leurs collègues, et même les plantons. Bah, oui qui va se négliger ? L’élection a toujours été l’occasion pour les uns et les autres de prouver leur loyauté au candidat en course à la présidentielle et par ricochet avoir la garantie de garder son poste après l’élection. C’est une sorte de contrepartie pour avoir été gratifié à ce poste. Ah, oui, attention à ne pas mettre en colère le tout-puissant candidat qui peut vous faire passer de directeur général à chargé de protocole. Il peut aussi vous nommer directeur de cabinet d’un ministre. Tout dépend de votre zèle et de l’effort que vous avez déployé lors de son élection.
Tu promets le changement. OK ! On veut changer de président. On fait comment ? #TGPR15
— Tété Enyon (@teteenyon) 13 avril 2015
Les Togolais ont compris qu’à l’approche du scrutin, il est plus prudent de remplir certaines obligations qu’ils comptaient faire au cours de l’année. Qu’il s’agisse des procédures à l’état civil pour le mariage, l’établissement du passeport, la production de carte d’identité, les soutenances à l’université, les dépôts de dossier de recrutement, la signature de contrat, le retrait de marchandises au port où au fret à l’aéroport, les commandes. Un petit tour dans les artères de Lomé ou des villes environnantes vous confirme tout de suite qu’il y a une rude concurrence entre les proches du président sortant, candidat à sa propre succession. Ceci est encore plus visible dans les quartiers comme Agoè, Avédji, Adéwui où les affiches et tricots sont multiples. Certes, ces outils de campagne sont à l’image de M. Faure Gnassingbé. Certaines affiches montrent une de ses photos récentes, d’autres une ancienne datant de 2010, d’autres encore une image modifiée dans Photoshop. C’est donc une sorte de concurrence pour prouver au candidat d’Unir qu’untel se bat mieux qu’untel.
Je suis CONTRE cette idée selon laquelle SI l’on a travaillé on ne doit pas quitter. Ce n’est pas une faveur. Du balai! #TGPR15 — Kelly Adediha (@KellyGeek) 13 avril 2015
Pris aux mots et aux faits
La scène politique togolaise nous a habitués, nous citoyens togolais, à une campagne électorale empreinte de malveillance et de dénigrement des acteurs politiques. C’est inscrit dans nos gènes, dans nos habitudes, on le pense, on le dit, on le publie. La plupart du temps nos agissements sont subjectifs, conditionnés par notre accointance, soit avec la majorité, soit avec l’opposition. Le concept qui fait mouche en ce moment, c’est celui intitulé #miabéFaure qui signifie « notre Faure ». Chose qui n’a pas laissé indifférent les militants des autres candidats qui répliquent avec des gravures archaïques et anarchistes sur les murs : #miagbéFaure c’est-à-dire « refusons Faure » ou encore #miabléFaure qui veut dire « trompons Faure »
C’est sans compter le discours des uns et des autres candidats sur le terrain.
« On a passé quatre ans à marcher. On réclame quoi ? Notre victoire qu’on nous a volée. C’est à la mer qu’on va réclamer cette victoire ? » Faure Gnassingbé
Ceci s’explique souvent par la menace que peuvent représenter ces derniers, l’émiettement des voix lors de l’élection, la concurrence sur des terrains considérés comme acquis, la publication des moyens de filouteries électorales, ou encore la révélation de resquilles politiques.
C’est ainsi qu’on peut entendre du côté du candidat du parti Unir, Faure Gnassingbé :
« j’ai pris le temps d’observer mes adversaires politiques qui ont tendance à décrédibiliser le processus alors qu’ils y sont. Je n’accepterai pas, le gouvernement n’acceptera plus cette sorte de récréation qui consiste à contester les résultats »
Ou du côté des candidats de l’opposition :
« Son père a fait 38 ans, il a fait 10 ans. Le tout fait approximativement 50 ans. Ça suffit comme ça ! » Ou encore « Il refuse de faire les réformes. Il refuse de payer les fonctionnaires et les médecins. Il ferme les écoles. Il enferme des innocents comme Pacal Bodjona. Il cautionne la minorité qui pille les richesses du pays. En un mot, « foutez-le dehors ! »
Mais, une forte rupture avec les anciennes habitudes et par ricochet une certaine maturité semble se dégager des agissements des militants et sympathisants des 5 candidats du 25 avril 2015. Pour l’heure, aucune violence n’est notée. Aucun affrontement n’a été constaté.
Ô le lait et le miel
Si vous aviez cru que la notion d’émergence qu’on nous servait depuis des mois était vraiment prévue pour l’horizon des années 2030, vous aviez eu tort. Ce n’est presque plus une campagne électorale, mais une véritable fête à laquelle se livrent les militants et sympathisants du candidat d’Unir. Une véritable démonstration de force avec des zémidjans de bleu vêtus circulant par centaines en klaxonnant. On peut voir aussi des caravanes avec fanfare et orchestre qui parcourent au quotidien les artères de la ville, de longs bus avec de grandes images du candidat Unir mis en avant. Des concerts sont organisés ici et là, des matchs de football pour sensibiliser les jeunes. Et comme si cela ne suffisait pas, on multiplie les réjouissances populaires devant les domiciles de certains membres influents du parti : distributions de gadgets comme des stylos Unir, cahiers Unir, savons Unir, sacs de riz Unir, pâtes Unir, huile Unir, bouteille d’eau minérale Unir, moto Unir, calendrier unir, sac unir. Tout est à l’effigie du président sortant. Tout, absolument tout. Si vous n’aimez point le bleu, la couleur, ne vous aventurez pas dans les rues de Lomé. Vous aurez le vertige à coup sûr.
Il y a beaucoup d’actes qui semblent compter pions sur rue. Enfin, c’est l’impression que ça donne aux proches du candidat d’Unir. Des tickets de bons d’essence offerts à tout automobiliste ou motard qui voudrait bien battre campagne en ce moment. Entendez par-là, le fait que le président de la délégation spéciale de la commune de Lomé, Aboka, ait décidé après presque un an, de nous ôter cette ribambelle d’escaliers que nous avons dans le quartier Adidogomé-amadahomé. Il a fait venir des bulldozers, camions et tracteurs pour draguer les voies de terre battue qui rallient la route nationale. Ô quel plaisir, quelle liberté de conduire, quelle satisfaction.
Au regard de toute cette agitation, il me vient surtout à l’esprit de me demander pourquoi le chef de l’Etat sortant, candidat d’Unir, candidat à sa propre succession fait tout ce tintamarre ? Pourquoi se donner en spectacle pour une élection qui lui semble déjà acquise ? Pourquoi dilapider autant d’argent alors que les fonctionnaires et les médecins ne sont pas toujours rémunérés ? De quoi a-t-il peur pour faire tout ce remplissage visuel comme si personne ne le connaissait ? Comme s’il était dans la course pour un premier mandat ?
Chercher un 3 e mandat comme si on allait chercher un 1er. Ce remplissage visuel qui bariole la politique du candidat #Faure . #TGPR15 — Guillaume Djondo (@Djosena) 13 avril 2015
Autant de question qui me laisse encore plus indifférent plus que je ne le suis déjà. Indifférence consécutive à l’absence de crédibilité du fichier électoral, le non-respect des accords politiques, la non-prise en compte des recommandations de la CVJR, le non-respect de la douleur des parents et des victimes de 2005, le non-respect de la mémoire d’Anselme et de Douti ces jeunes élèves abattus de sang-froid au nord du pays.
Souffrez que je vous dise combien je suis dégoûté par ce spectacle obséquieux aux allures incompréhensibles. Pour ce qui est de ces jeunes qui profitent allègrement du lait et du miel qui coulent n’est-ce pas que « abusus non tollit usum »2 ? Du reste, « dominus vobiscum »3.
Bien à vous !
Annexes :
1 – Ex abrupto : brusquement. (Formule latine)
2 – Abusus non tollit usum : l’abus n’empêche pas l’usage. (Formule latine)
3 – Dominus vobiscum : le seigneur soit avec vous. (Formule latine)
Commentaires